Holdings et fiscalité : démêler le vrai du faux (sans slogans)

Le débat a ressurgi avec force après un reportage de Cash Investigation consacré aux holdings, largement commenté sur les réseaux sociaux. Au cœur de la polémique : l’idée selon laquelle « les riches paieraient beaucoup moins d’impôts que les autres », grâce à des montages juridiques permettant de ramener l’imposition à 1,25 %.

Comme souvent en matière de fiscalité, le problème n’est pas tant le sujet… que la façon dont il est présenté.

Première confusion majeure : mélanger l’impôt des sociétés et celui des personnes

Une entreprise et un individu ne sont pas le même contribuable.

  • LVMH, en tant que société, paie l’impôt sur les sociétés sur ses bénéfices (environ 25 %, voire plus certaines années avec des contributions exceptionnelles).
  • Bernard Arnault, en tant que personne physique, est imposé lorsqu’il se verse une rémunération ou des dividendes.

Additionner ces deux impôts pour démontrer que « Bernard Arnault paie X % d’impôt » est conceptuellement faux. Ce sont deux bases, deux redevables, deux logiques distinctes.


À quoi sert réellement une holding ?
Une holding n’est pas une machine à “effacer l’impôt”. Son rôle principal est de :

  • détenir des participations,
  • gérer, structurer et réinvestir des capitaux,
  • éviter la double imposition économique des mêmes bénéfices.

Le régime mère-fille permet ainsi à une société holding de recevoir des dividendes d’une filiale déjà imposée à l’IS, en ne réintégrant que 5 % de ces dividendes dans sa base taxable, soit environ 1,25 % d’IS supplémentaire.

Ce point est crucial : 👉 les 1,25 % ne remplacent pas l’IS, ils s’y ajoutent.

Au total, avant tout versement à une personne physique, on est déjà autour de 25–26 % d’impôt.

L’argent dans une holding n’est pas de l’argent personnel

C’est un point central que beaucoup oublient – volontairement ou non.

L’argent qui reste dans une holding :

  • appartient juridiquement à la société,
  • ne peut pas être utilisé librement à titre personnel,
  • ne permet pas d’acheter une voiture ou de partir en vacances sans contrepartie fiscale (rémunération, dividendes, avantages en nature encadrés…).

Le jour où cet argent est sorti à titre personnel, il est taxé :

  • soit à l’impôt sur le revenu (jusqu’à 45 %),
  • soit à la flat tax sur les dividendes (30 %, voire plus selon les cas).

À l’arrivée, la fiscalité cumulée dépasse souvent 50 %, ce qui est supérieur à celle supportée par la très grande majorité des contribuables.

Pourquoi alors parle-t-on d’un “faible taux d’imposition” ?

Parce que les très hauts patrimoines n’ont pas besoin de sortir tout leur revenu chaque année.

Ils ne cherchent pas à maximiser un revenu disponible, mais à :

  • réinvestir,
  • développer leur groupe,
  • préparer la transmission,
  • lisser la fiscalité dans le temps.

Dire que quelqu’un “ne paie que 2 % d’impôt” parce qu’il ne sort qu’une fraction de ses flux économiques est un raccourci trompeur.Il faudrait alors appliquer la même logique à tout le monde… y compris aux Français dont le patrimoine dort dans une résidence principale peu taxée mais très valorisée.


Optimisation fiscale ≠ fraude
Il faut le redire calmement.

  • L’optimisation fiscale consiste à utiliser des règles votées par le Parlement.
  • La fraude fiscale consiste à les violer.

Le régime des holdings, du mère-fille ou de l’IS n’a rien de dérogatoire réservé aux milliardaires. Il est utilisé par :

  • des dirigeants de PME,
  • des entrepreneurs,
  • des professions libérales,
  • parfois dès la première société.

La différence n’est pas la règle. La différence, c’est l’échelle.

Le vrai sujet : pédagogie fiscale plutôt qu’indignation

Le problème n’est pas qu’un chef d’entreprise réinvestisse ses bénéfices via une holding. Le problème, c’est le niveau de confusion collective autour de la fiscalité.

Mélanger :

  • patrimoine professionnel et personnel,
  • IS et IR,
  • trésorerie d’entreprise et revenu disponible,

revient à produire une indignation fondée sur des bases fausses.

Cela ne sert ni le débat démocratique, ni la justice fiscale, ni la compréhension économique.

Conclusion : on peut critiquer le système sans trafiquer les concepts

On peut parfaitement débattre :

  • de la progressivité de l’impôt,
  • du financement du modèle social,
  • de la concentration du capital,
  • de la transmission intergénérationnelle.

Mais à condition de parler le même langage fiscal et de respecter les distinctions juridiques de base.

La fiscalité française est déjà complexe.La caricature n’éclaire personne – elle alimente seulement les camps.

Et en matière d’impôt comme de patrimoine, la pédagogie vaut toujours mieux que le slogan.