Experts-comptables et gestion de patrimoine : jusqu’où peut aller le conseil patrimonial rémunéré ?

Un rôle patrimonial naturel, mais encadré

Depuis toujours, l’expert-comptable est au cœur des décisions patrimoniales de ses clients : rémunération du dirigeant, arbitrage salaire/dividendes, structuration holding, transmission, retraite, immobilier professionnel, choix fiscaux…

Pourtant, dès qu’il est question de gestion de patrimoine, une zone de flou subsiste :


que peut réellement facturer un expert-comptable, à qui, et dans quelles conditions ?

Entre interdiction claire des commissions sur produits financiers et possibilité revendiquée de facturer des honoraires de conseil, le sujet mérite d’être clarifié.

1. Une interdiction désormais incontestable : les commissions sur produits financiers

Le point est aujourd’hui sans ambiguïté.👉 Un expert-comptable ne peut percevoir aucune commission, directe ou indirecte, liée à la commercialisation de produits financiers (assurance-vie, PER, placements, produits bancaires).

Cette interdiction vise aussi :

  • les rétrocessions déguisées,
  • les honoraires conditionnés à une souscription,
  • les flux perçus via une structure interposée.

Cette ligne rouge est clairement posée :➡️ le conseil, oui ; la vente rémunérée de produits financiers, non.

2. En revanche, le conseil patrimonial facturé en honoraires est autorisé

C’est là que le sujet devient intéressant.

Comme le rappelle Jean-Pascal (et comme le confirment les textes) :


l’expert-comptable peut facturer des honoraires à qui il veut.

Cela inclut :

  • des dirigeants,
  • des associés,
  • et potentiellement des particuliers, y compris hors strict cadre comptable.

À condition toutefois que :

  • la rémunération soit indépendante de tout produit financier,
  • il s’agisse d’un conseil intellectuel,
  • les compétences mises en œuvre soient couvertes par le cadre réglementaire de la profession.

3. La compétence juridique appropriée (CJA) : un levier clé en gestion de patrimoine

La CJA permet à l’expert-comptable de réaliser, à titre accessoire, des prestations juridiques directement liées à son activité principale.

Dans un contexte patrimonial, cela recouvre notamment :

  • organisation de la détention du patrimoine,
  • structuration de groupes familiaux,
  • transmission,
  • choix de régimes matrimoniaux (analyse, pas rédaction d’actes),
  • pactes, holdings, démembrements (dans leurs impacts juridiques et fiscaux).

👉 La CJA constitue donc une base solide pour un conseil patrimonial structuré, dès lors qu’il reste dans le champ de l’analyse, de la recommandation et de la coordination.

4. La vraie question : faut-il nécessairement une comptabilité derrière la facturation ?

C’est probablement le cœur du débat aujourd’hui.

Deux lectures coexistent :

🔹 Lecture restrictive
La mission patrimoniale doit être :

  • liée à un client dont le cabinet tient la comptabilité,
  • et accessoire à cette mission principale.

Selon cette approche, un expert-comptable sans activité GP dédiée ne pourrait pas facturer un conseil patrimonial isolé à un particulier non client du cabinet.


🔹 Lecture plus ouverte (et débattue)

Le cabinet facture :

  • un conseil autonome,
  • fondé sur des compétences juridiques, fiscales et patrimoniales,
  • sans vente de produits,
  • sans intermédiation,
  • sans commission.

👉 Dans ce cas, l’absence de mission comptable sous-jacente ne remettrait pas nécessairement en cause la légitimité de la facturation, sous réserve d’un cadrage clair des missions et de la responsabilité engagée.

Le point n’est pas définitivement tranché et mérite clairement d’être approfondi par la profession.

5. Et sans filiale de gestion de patrimoine ?

C’est une conséquence pratique majeure.

Si l’on retenait une lecture trop restrictive :

  • seuls les cabinets disposant d’une filiale dédiée (CGP, CIF, courtage) pourraient facturer du conseil patrimonial à des particuliers,
  • ce qui créerait une distorsion concurrentielle,
  • alors même que le cœur de la valeur ajoutée (analyse, structuration, vision globale) est précisément celui de l’expert-comptable.

D’où l’intérêt d’un modèle clair de conseil patrimonial facturé en honoraires, sans produit, sans commission, centré sur l’aide à la décision.

Conclusion – Vers un conseil patrimonial “honoraires only” assumé ?

La trajectoire semble se dessiner :

  • ❌ commissions : interdites,
  • ✅ conseil patrimonial : légitime,
  • 💡 honoraires : la clé du modèle.

Le véritable enjeu pour les cabinets n’est donc pas de vendre des produits, mais de :

  • structurer une offre de conseil claire,
  • définir précisément le périmètre d’intervention,
  • sécuriser la facturation,
  • et assumer un positionnement honoraires only, aligné avec l’indépendance de la profession.

👉 Un sujet central pour l’avenir de l’expertise comptable — et qui mérite un débat collectif apaisé et documenté.